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Photo du rédacteurCharlotte de Silguy

La chrysalide de l'automobile

Dernière mise à jour : 9 juin 2019


La crise de l’industrie automobile, fractale de nos crises systémiques, est une des

meilleures choses qui pouvait arriver à nos sociétés. Naturellement, cela est

terriblement difficile à vivre au niveau individuel pour des dizaines de milliers de

personnes. Bien sûr, cette crise est très complexe à gérer au niveau collectif, industriel,

politique et économique. Mais, si au moment de quitter mes fonctions à l’Avere-

France, j’ai souhaité écrire sur ce thème, c’est parce que je suis convaincue que les

conséquences de cette crise seront très positives pour la France, le monde, et pour

l’humanité.

Parce que cette crise est une chrysalide.


« Ce que la chenille appelle la fin du monde, le maître l’appelle le papillon ».

Si j’ai fait mienne cette citation de Richard Bach, le célèbre auteur de Jonathan Livingston le

Goéland, c’est parce que je suis de nature optimiste, positive, et parce que je suis imprégnée de taoïsme depuis mes études de sinologie et mes longs séjours en Chine. La philosophie du tao invite à une vision globale et à ne pas détacher les éléments les uns des autres. Ainsi, un événement a priori négatif peut avoir des conséquences directes ou indirectes positives.

D’ailleurs, en chinois, crise se dit « WeiJi » qui est la contraction de deux mots :

« WeiXian » signifiant danger et « JiHui » que l’on peut traduire par opportunité.

Toute crise porte en elle les germes de sa solution. Elle est le symptôme qui alerte d’une

maladie plus profonde et représente une opportunité d’oeuvrer à la guérison. Une crise est

donc une occasion de suivre une nouvelle voie qui peut s’avérer particulièrement intéressante voire bien plus judicieuse ou agréable que la situation qui l’a précédée.


Mais il est crucial de suivre ce conseil d’Albert Einstein qui suggère de ne pas chercher à

résoudre les problèmes avec les modes de pensée qui les ont engendrés, et d’avoir en tête

ce principe de Darwin mentionnant que ce ne sont pas les plus forts de l’espèce qui survivent, ni les plus intelligents, mais ceux qui savent le mieux s’adapter au changement.

Or s’adapter c’est aller dans le sens de la nature. Yu le Grand, un des plus grands empereurs de Chine, l’avait déjà compris il y a 4 000 ans. Un enjeu fondamental d’alors était la maîtrise des rivières et des lacs, particulièrement facétieux. Alors que tous les experts construisaient digues et autres entraves pour empêcher les eaux de déborder, ce qui retardait les inondations mais ne les rendait que plus violentes, Yu, lui, est allé dans le sens de la nature, en creusant les lits des rivières, et en canalisant l’eau des lacs pour l’irrigation.

En Chine, l’art millénaire du Kung Fu consiste à utiliser l’énergie de l’adversaire. Ne pas s’opposer. Accompagner le mouvement. Parce que si on résiste on peut se faire mal, et

parce qu’accompagner une force inéluctable rend puissant.


Aujourd’hui, plus que jamais, un mouvement inexorable place l’humain et la nature au coeur

de nos systèmes. Le passage de l’ « ère de l’humain au service de l’industrie » à celle des

« services aux humains en harmonie avec la nature » est engagé.

Les crises systémiques : sociale, économique, environnementale, géopolitique, morale, ne sont pas des maux passagers que quelques formules médicamenteuses pourraient masquer en provoquant des effets secondaires probablement pires que le mal initial. Ces crises sont le signe qu’une transformation doit être opérée ou les symptômes d’une transformation sociétale profonde qu’il convient d’accompagner. Parce qu’elle est puissante et irréversible. La crise automobile n’est pas un tourment temporaire. Elle est une illustration sectorielle d’un

mouvement de fond irrépressible.

Elle mènera à une mobilité humanisée. Écologique, pratique, économique, civique, ludique,

éthique. Mais aussi servicielle, multimodale, communicante, partagée. Rationnalisée.

Consciente.

D’innombrables pousses ont surgi et remplaceront bientôt la forêt aux arbres pourtant bien

enracinés. Certains les voient fragiles, sans avenir, inutiles ou comme de mauvaises herbes à éradiquer pour protéger l’arbre établi. D’autres ne les voient pas. Mais si l’on observe le passé, on reconnaît que Schopenhauer a raison quand il dit que toute idée nouvelle franchit trois étapes. D’abord elle est ridiculisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis elle est

considérée comme ayant toujours été une évidence. Comme les premières cellules du

papillon, les « cellules imaginales ». Au début, lorsqu’elles apparaissent sporadiquement dans la chenille, elles sont considérées comme des intruses par le système immunitaire de cette dernière et aussitôt phagocytées. Puis, non seulement elles deviennent nombreuses, mais aussi elles se maillent entre elles. Le système immunitaire devient impuissant. La chrysalide devient papillon.

Le processus de transformation est d’autant plus galvanisant qu’il rejoindra la vision de Ian

Mac Millan, écologiste américain : « Ce qui compte dans la sauvegarde des condors et de

leurs congénères, ce n’est pas tant que nous avons besoin des condors, mais que nous avons besoin des qualités humaines nécessaires pour les sauver. Car ce sont précisément celles-là même qu’il nous faut pour nous sauver nous-mêmes. »

Je suis optimiste, bien que consciente des souffrances individuelles et collectives engendrées par la transformation en cours. Je quitte mes fonctions de secrétaire générale en toute confiance. Pour l’Avere-France, et pour la cause de la mobilité électrique, inéluctable. Très heureuse d’avoir participé à cette aventure passionnante, je suis aujourd’hui dans l’état d’esprit de Victor Hugo : il y a des moments doublement mélancoliques et mystérieux, où notre esprit semble éclairé par le soleil qui se couche et par la lune qui se lève.


Charlotte de Silguy

Secrétaire Générale de l’Avere-France


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